Gestion 2000 2018
Chabaud, D. ; Corbel, P. ; Janssen, F. et Sahut, J.M. « 80 ans d’innovation en gestion », Gestion 2000, vol.34, n°5-6, mars 2018, p.51-61
Introduction :
Fêter les 80 ans d’une revue académique n’est pas un événement courant. D’aucuns pourraient même être surpris, s’agissant d’une revue de sciences de gestion, d’évoquer 80 ans. Comment, à première vue, penser que 1936 ait vu la naissance de la première revue académique francophone en gestion ? Pourtant, 1936 est aussi l’année de la naissance de l’Academy of Management. Gestion 2000 pourrait donc constituer l’un des marqueurs de la structuration du champ.
L’innovation en gestion, si elle appelle à s’interroger sur la place de l’innovation dans les pratiques de gestion, de manière rétrospective et prospective, questionne également la dynamique de notre discipline. Si la Gestion (ou les sciences de gestion), s’est surtout structurée au cours du siècle passé en tant que discipline (Pavis, 2003 a et b, Marco, 2011), les premières écoles de gestion apparaissent au XIXème siècle (de Fournas, 2007, Blanchard, 2012, Bodé, 2012, Passant, 2016).
Gestion 2000 est une revue généraliste qui publie des articles ayant des implications managériales : « Forum de rencontres entre le monde universitaire et celui des entreprises, la Revue Gestion 2000 publie des articles originaux de recherche en gestion où les implications managériales sont centrales se donne pour objectif d'établir un pont entre le monde académique et celui des affaires avec un système d'évaluation des articles en double lecture aveugle. »
A l’occasion de son 80ème anniversaire, la revue Gestion 2000 a ainsi lancé un appel à contributions pour un numéro spécial sur le thème Innovation en Gestion. Ce thème nous semblait présenter un double intérêt.
D’abord, l’innovation est un maître-mot pour les entreprises dans un contexte mouvant. Elle explique même l’évolution économique si l’on songe aux travaux de Joseph Aloïs Schumpeter (1912/1935). Ensuite, l’innovation, en conditionnant la performance des entreprises, voire en entrainant la dynamique économique, constitue une fenêtre sur les différentes disciplines des sciences de gestion : marketing, stratégie, comptabilité, finance, entrepreneuriat, ressources humaines, systèmes d’information, etc., respectant ainsi la tradition d’ouverture de la revue.
Afin de permettre de nouer les débats, nous avons retenu une double démarche pour susciter des textes : (1) celle, classique, d’un appel à contributions qui a permis, après un processus de révision en double aveugle, de déboucher sur une sélection d’articles, et (2) celle d’un ensemble de sollicitations qui ont conduit à proposer de donner la parole à des collègues sur le thème. Ce numéro contient trois types de contributions : des articles ayant suivi un processus classique d’évaluation en double aveugle, des articles d’auteurs invités qui ont fait l’objet d’échanges directs avec l’équipe des rédacteurs-en-chef et des « points de vue » s’éloignant davantage des normes académiques. Au total, ce sont 19 articles et points de vue qui sont présents dans ce numéro double.
Si la distinction de catégorie est pertinente pour structurer les articles présents dans ce numéro, cet article introductif propose de mettre en perspective les textes autour de deux axes structurants :
- Innovation(s) dans la Gestion comme discipline, dans laquelle nous montrerons à la fois combien l’itinéraire de la revue a pu rencontrer l’itinéraire de notre discipline,
- Innovation dans les pratiques.
A bien des égards, le management de l’innovation en tant que discipline reflète la structuration du champ des sciences de gestion. Ces dernières sont le reflet de la synthèse que tente de réaliser une revue comme Gestion 2000 entre des praticiens réflexifs (parmi les premiers piliers des sciences de gestion, figurent les ouvrages de Taylor, Fayol ou Barnard) et les disciplines des sciences sociales qui lui pré-existaient. Parmi ces dernières, l’économie a joué un rôle particulièrement important (Marco, 2011) et c’est en tant qu’Annales de sciences économiques appliquées que la revue Gestion 2000 a commencé son histoire.
Cette influence de l’économie est forte dans le champ de l’innovation, où la figure tutélaire de Schumpeter joue un rôle clé, mais, le management de l’innovation a ensuite suivi un chemin comparable à celui des sciences de gestion en général, avec deux phénomènes inter-reliés :
- Celui de l’institutionnalisation et de l’autonomisation. Le champ a mis en place ses associations (l’Academy of Management, contemporaine de la naissance de Gestion 2000) et ses revues spécialisées.
- Celui de la fragmentation, le champ se scindant en de multiples sous-disciplines. C’est ainsi que malgré leurs racines schumpéteriennes communes, l’entrepreneuriat et le management de l’innovation vont diverger. Le management de l’innovation va davantage s’appuyer sur le Schumpeter de Capitalisme, Socialisme et Démocratie (Schumpeter, 1951), où il met l’accent sur les grandes structures de R&D, et l’entrepreneuriat sur la figure originale de l’entrepreneur de sa Théorie de l’évolution économique (Schumpeter, 1912/1935). Au-delà de l’organisation de l’innovation et de l’entrepreneuriat, on appliquera à l’innovation les grilles issues du marketing (le marketing de l’innovation devenant quasiment une sous-discipline à part entière), de la gestion des ressources humaines, de la finance, etc. à mesure que des pratiques spécifiques apparaissent (le financement par levées de fonds successives auprès des business angels et des capital-risqueurs, par exemple). Enfin, l’émergence des nouvelles technologies de l’information et de la communication va souder management des systèmes d’information et management de l’innovation.
Le contenu de ce numéro reflète ces tendances. Une première série d’articles retrace ce cheminement des réflexions sur l’innovation. La structure du numéro intègre ensuite les résultats de ce découpage du champ en abordant successivement une approche entrepreneuriale, le point de vue du management de l’innovation au sens strict, puis les aspects organisationnels et humains associés à l’innovation.
Lien :
L'article est disponible sur Cairn.